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12 décembre 2011 1 12 /12 /décembre /2011 05:34

 

Tout s'arrête. Plus un bruit. Les projecteurs s'allument les uns après les autres, écho d'un temps passé. Le théâtre s'emplit d'une chaleur lumineuse, chaleur bienvenue, chaleur qui sera bientôt étouffante.











La salle est comble, je le ressens. Bien que je ne puisse distinguer de visages au delà du premier rang, je sais que tous me détaillent de la tête aux pieds. Et moi, je suis seul avec toi. Ils nous regardent de leurs yeux inquisiteurs. Ils ne trouveront rien à redire, je suis parfait. Je jouerai encore une fois parfaitement le rôle que l'on m'a attribué. Mon costume est bien coupé, mes chaussures sont cirées, mes cheveux légèrement ébouriffés par une bourrasque lors de mon arrivée.



Je me concentre, encore une fois, j'en ai l'habitude. Mes pensées s'arrêtent et se taisent. Je sais qu'ils n'attendent que moi, qu'ils n'attendent que nous. Et je leur donnerai une dernière fois la satisfaction de me voir jouer ce rôle tant travaillé, tant étudié, rodé depuis des lustres. Je me délecte de cette atmosphère tendue, où je suis seul à pouvoir décider de relâcher la tension.











Du fond de la salle, je ne vois que lui sur scène, son ombre est plaquée au sol par un implacable ovale de lumière blanche. Jamais auparavant je ne l'avais vu aussi calme, aussi résigné. Je n'ai d'yeux que pour ses mains. Ses mains si belles, ses mains qui hier encore me ravissaient de gracieux arpèges. Il est magnifique, sa peau blanche tranche étrangement sur le noir de son costume, mais son visage me semble assombri, ce n'est pas sa barbe de trois jours, c'est autre chose. Je m'inquiète, ce n'est pas un bon moment pour se laisser abattre, il y a beaucoup trop d'enjeux importants aujourd'hui.











 IMG_3690.jpg







Mon bras droit se détend. Mes épaules se baissent. Tout se fige, je distingue la poussière qui flotte, indolente, dans le rai de lumière. Je prends une bouffée de l'air, qui me semble alors vicié, alourdi des relents de tant de présences étrangères. Maintenant je n'ai plus aucun moyen de faire machine arrière. 

Mon archet s'élance, loin au dessus de la foule, il décrit un arc de cercle absolument parfait et gracieux et vient enfin frapper une corde, dégageant a l'impact un léger nuage de colophane. 

 

Je lis mon texte, je déclame haut et fort ce que Myaskovsky a écrit, te le fais dire avec amour et tendresse.








Je ne pensais pas qu'il serait aussi serein, pas après cette journée. Comment peut-il encore se tenir debout alors qu'il devrait être accablé de honte et de culpabilité? Ne l'avais-je pas assez asséné, ne lui avais-je pas fait entendre qu'il était trop tard maintenant? Moi qui étais là pour le voir s'effondrer, je ne peux que constater que rien n'a semblé le toucher en fin de compte. Il est absolument divin et son jeu est juste. Je ne peux pas le supporter. Je ne peux plus. 








J'entends une porte s'ouvrir et des pas s'en éloigner. Cela doit être la porte du public, quelqu'un s'enfuit, quelqu'un court maintenant dans l'escalier de marbre, la porte grince en se refermant puis se claque. Le charme est brisé, l'illusion s'estompe, je n'ai pas réussi à tenir tout le monde avec moi, puisque quelqu'un est parti en courant.

Je commence à perdre pied, je m'étouffe. Je tremble de tout mon corps. J'essaye de te rassurer mais je n'y arrive pas. Ce n'est pas de ta faute tu sais, c'est sûrement de la mienne, c'est moi qui n'arrive pas à les retenir, tu n'y es pour rien je te l'assure. 





Nous sommes tous les deux horrifiés. Je t'oppresse, te violente, te relâche par instants. Je te brusque, je te caresse. Tu ne fais plus de bruit, je continue de fuir leurs regards, tu t'es tu. Quoi que je fasse tu ne réponds plus a mon appel.

Ta voix s'éteint, je ne trouve pas en moi les ressources nécessaires pour te réanimer. J'ai l'impression de me retrouver dans l'un de ces mauvais rêves ou l'on tente vainement d'hurler mais où aucun son ne sort de notre bouche. Je n'arrive plus a te faire chanter, ni a te faire rire ou même pleurer, j'ai moi même trop pleuré peut être pour réussir à t'émouvoir. Ecoute moi, bon sang, ne vois tu pas à quel point je souffre que tu ne me répondes plus? Un dernier petit effort, je t'en prie, reste avec moi jusqu'à la dernière mesure, et après, nous nous en irons.

Ils sont toujours là, avec leurs rictus méprisants. Ils voient bien que je t'ai perdu, ils se régalent de ton agonie et moi je crève de ton absence. Tu ne réponds tout simplement plus a mes prières amoureuses. Je relève les yeux de ton corps adoré. Je les regarde droit dans les yeux. Dans mon regard je leur dit tant de choses. J'assassine celui qui, faisant grincer cette porte, t'a fait te recroqueviller puis te taire. 

 

Je retiens mon flot de larmes et le sang noir de haine qui pourrait se déverser de chacun de mes pores. J'ai envie de leur dégueuler mon dégout. Je me vois déposer ton corps à terre et m'approcher de celui qui semble être le chef. Celui qui, insolent, a cru que son escapade passerait inaperçue. Je lui offre tout mon corps, qu'il se défoule, qu'il me lance des millions de flèches à travers le cœur, de toute façon je suis mort à l'instant ou tu es parti. Rien. Il a assez pris son pied. Il me dit de dégager, par son absence, il m'envoie paître.

Je lui tourne le dos. Ça y'est, je lui montre que je n'ai plus peur de lui, que je ne le respecte pas. Il n'a que mon mépris et ma haine, il t'a enlevé, ils t'ont enlevé. Je relève ton corps et te transporte plus loin, ils ne nous voient plus. Je pleure à chaudes larmes.

 





Cigarette, briquet, étincelle, rougeoiement, fumée, soulagement. 

 

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